Le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) a récemment pris la décision de révoquer le Premier ministre Garry Conille, déclenchant un débat juridique intense quant à la légalité de cette résolution. Bernard Gousse, ancien ministre de la Justice et professeur de droit, critique vivement cette décision en la qualifiant d'illégale pour deux raisons majeures : l'incapacité fonctionnelle du CPT et les conflits d'intérêts pesant sur plusieurs de ses membres.
Incapacité fonctionnelle du conseil
Selon Bernard Gousse, le Conseil Présidentiel de Transition est actuellement frappé d'incapacité fonctionnelle. Cette situation découle du décret du 10 avril 2024, régissant la formation et le fonctionnement du CPT. L'article 2 de ce décret stipule clairement qu'aucune personne sous le coup d'accusations pénales ne peut siéger au sein du Conseil. Or, il se trouve que trois membres actuels du CPT font l'objet de poursuites pour des accusations de corruption, un juge d'instruction ayant déjà été saisi. Cette disqualification automatique des trois conseillers compromet la majorité requise pour toute délibération valide. En effet, le décret du 23 mai 2024 impose la présence d'au moins cinq membres pour assurer la légalité des réunions. Par conséquent, la décision de révoquer le Premier ministre prise dans ce contexte serait juridiquement inexistante.
Conflit d'intérêts au sein du CPT
Outre l'incapacité fonctionnelle, Bernard Gousse pointe également un problème de conflit d'intérêts. Le CPT aurait exercé des pressions pour nommer un nouveau ministre de la Justice, espérant que ce dernier pourrait influencer le Commissaire du Gouvernement en faveur des membres inculpés. Gousse souligne que cette situation crée une dynamique où le CPT se retrouve juge et partie, ce qui va à l'encontre des principes de transparence et d'intégrité dans la prise de décision administrative. Le contrôle du Ministère de la Justice pourrait permettre au CPT de manipuler l'issue des poursuites judiciaires en cours, en instruisant le Commissaire de prononcer un non-lieu en faveur des membres accusés.
Illégalité sur le fond de la décision
La décision de révoquer Garry Conille n'est pas seulement entachée d'irrégularités procédurales, elle viole également la Constitution haïtienne, selon Bernard Gousse. En vertu de l'article 158 de la Constitution, le Premier ministre est responsable devant le Parlement, qui est le seul habilité à le révoquer via un vote de censure. Le CPT, bien qu'exerçant temporairement les fonctions du Président de la République en période de transition, ne possède pas les prérogatives constitutionnelles pour mettre fin aux fonctions du Premier ministre. En outre, aucun des textes légaux encadrant la transition politique actuelle, y compris l'Accord du 3 avril, ne confère au CPT le pouvoir de démettre un Premier ministre de ses fonctions.
Un vide institutionnel et un excès de pouvoir
Le CPT semble profiter d'un vide institutionnel pour justifier sa décision. En effet, l'Organe de Contrôle de l'Action Gouvernementale (OCAG), prévu pour surveiller l'exécutif, n'a jamais été mis en place. Dans un tel contexte, Bernard Gousse rappelle que seules les forces politiques ayant contribué à la création du CPT auraient l'autorité morale de retirer leur confiance au gouvernement actuel. En l'absence d'une structure de contrôle adéquate, toute action du CPT visant à révoquer un Premier ministre serait un abus de pouvoir. Ce comportement pourrait être qualifié de forfaiture, c'est-à-dire l'exercice illégal de prérogatives non attribuées par la loi.
Conséquences pour l'État de droit en Haïti
La tentative du CPT de limoger Garry Conille soulève des questions cruciales sur le respect de l'État de droit en Haïti. Bernard Gousse conclut que la résolution du CPT constitue un précédent dangereux, remettant en cause les bases mêmes du système démocratique haïtien. L'État de droit exige des décisions basées sur des principes clairs de légalité et de transparence. Or, dans ce cas, les actions du CPT risquent de créer un climat de méfiance généralisée envers les institutions de la transition.
En résumé, l'illégalité de la décision du CPT repose sur des vices tant procéduraux que de fond, mettant en lumière la fragilité des institutions haïtiennes en période de transition politique. Bernard Gousse appelle à un retour au respect des normes constitutionnelles pour garantir la stabilité du pays dans ce contexte incertain.
PLR
Radio Amitié 104.7 FM
Comments